Récits de voyages , Récits accompagnateurs

À l’heure où une grande nation de la planète vient d’élire à sa tête un homme bien résolu à édifier des remparts autour de son pays – enceinte de béton, de fer et d’électricité, mais aussi barrières sociales, économiques, religieuses  et psychologiques  – il m’est apparu judicieux de faire un tour des différents murs que j’ai côtoyés lors des randonnées que j’ai eu le plaisir d’accompagner au fil des années, sous l’étendard Grand Angle. Si édifier des murs autour d’un pays, c’est littéralement le mettre sous cloche, l’enfermer, le mettre en prison, les murs ont bien d’autres secrets à nous révéler et peuvent même devenir d’humbles ou de flamboyantes œuvres d’art.

Quatre murs et un toit… Personne ne peut prétendre aimer la prison ; il en est une pourtant qui m’a toujours séduit, c’est celle de Sark, dans les îles anglo-normandes.

 

La prison de Sark © François Ribard
La prison de Sark © François Ribard

 

Certes, on aurait du mal à y caser la totalité de la population états-unienne. Cette prison qui date de 1856 ne comporte que deux cellules. Elle a été très peu utilisée à part pour mettre au frais quelques fêtards un peu trop imbibés. Mais si on s’échappe difficilement d’une prison, il est parfois utile de pouvoir s’abriter derrière les murs épais d’une citadelle, ainsi celle de Grosnez sur l’île de Jersey, construite au XIVe siècle pour protéger la population des incursions des pillards français.

 

Grosnez Castle sur l’île de Jersey © François Ribard
Grosnez Castle sur l’île de Jersey © François Ribard

 

Ailleurs ce sont d’autres raids de pirates qui ont conditionné l’édification de murs et de citadelles. A Corfou, postées sur un éperon rocheux, dans un site sublime dominant un océan d’oliviers et la mer ionienne, les ruines de la forteresse d’Aggelokastro rappellent ce souci constant au XIIIe siècle.

 

La forteresse d’Aggelokastro sur l’île de Corfou © François Ribard
La forteresse d’Aggelokastro sur l’île de Corfou © François Ribard

 

Trois siècles plus tard, Barberousse, amiral de la flotte ottomane  écume la Méditerranée, notamment autour des îles ioniennes. La profusion de murs sur l’île de Paxos servira aux habitants à se cacher lorsque la flotte ennemie se profile à l’horizon.

 

Chemin bordé de murs sur Paxos © François Ribard
Chemin bordé de murs sur Paxos © François Ribard

 

Bien cachée,  Paleochora, ancienne capitale byzantine de l’île de Cythère fut pourtant rasée par l’impitoyable Barberousse qui, en passant au large de l’île avec sa flotte, repéra les fumées des foyers de la cité fortifiée s’élevant dans le ciel. Aujourd’hui, les murailles qui se dressent sont les témoins silencieux de la destruction de la cité. Elles se confondent avec le gris des falaises dans un cadre impressionnant.

 

Le Kastro de Paleochora ruiné par Barberousse sur l’île de Cythère © François Ribard
Le Kastro de Paleochora ruiné par Barberousse sur l’île de Cythère © François Ribard

 

Car si les murs sont sensés protéger ceux qu’ils abritent, ils peuvent aussi se révéler un piège duquel il est difficile de s’échapper. On peut y contraindre les animaux comme sur Inishmore, la plus grande des îles d’Aran, battue par les vents, à l’ouest de l’Irlande.

 

Âne sur Inishmore, la principale des îles d’Aran en Irlande © François Ribard
Âne sur Inishmore, la principale des îles d’Aran en Irlande © François Ribard

 

 

Maintenir des bêtes, oui, mais le vent, lui, on ne le contraint pas. Dans le Burren, il a fallu adapter les murs à la puissance des tempêtes, capables de renverser les pierres qui les constituent. Alors les hommes ont adapté leurs constructions. Si brebis, chevaux  ne franchissent pas l’obstacle, il a fallu ménager des passages entre les pierres, pour laisser passer le vent furieux qui ne connaît pas de barrières. C’est peut-être cela qu’on appelle « jouer la fille de l’air »… Alors les murs se font dentelle.

 

Mur de pierres sèches dans le Burren en Irlande © François Ribard
Mur de pierres sèches dans le Burren en Irlande © François Ribard

 

Tout comme les portes gardant les passages obligatoires pour hommes et bêtes et que le temps, allié de l’air marin ronge inexorablement.

 

Portail dans un mur sur Inishmore la principale des îles d’Aran © François Ribard
Portail dans un mur sur Inishmore la principale des îles d’Aran © François Ribard

 

Quelques pierres, l’ouvrage du temps, le regard des hommes… les murs savent aussi se faire œuvre d’art. La fulgurance esthétique des murs toujours née de la nécessité on la trouve aux quatre coins de l’’Europe comme sur l’île d’Andros, la plus septentrionale des Cyclades.

 

Muret bordant le chemin sur l’île d’Andros © François Ribard
Muret bordant le chemin sur l’île d’Andros © François Ribard

 

En posant une pierre perpendiculairement aux autres blocs du mur, non seulement on économise des pierres, mais on renforce la solidité de l’ouvrage. Humblement les hommes parlent rarement d’esthétique quand ils bâtissent mais allez savoir si ce n’est pas une motivation majeure dans leur travail de construction. Beauté intrinsèque des murs mais aussi support de couleurs, d’œuvres artisanales comme celles d’un céramiste de Ravello sur la côte amalfitaine.

 

Ravello sur la côte amalfitaine © François Ribard
Ravello sur la côte amalfitaine © François Ribard

 

Dans nos montagnes ou nos îles, peu de tags ont été peints sur les murs. Le tag est un geste citadin. Mais d’’autres types de peintures peuvent apparaître sur des murs en ruines comme les fresques à demi effacées de la chapelle de Taxiarchis sur les pentes du mont Pantokrator sommet de l’île de Corfou.

 

Fresque de la chapelle de Taxiarchis sur l’île de Corfou © François Ribard
Fresque de la chapelle de Taxiarchis sur l’île de Corfou © François Ribard

 

Quand des murs, nait la simple émotion esthétique, il suffit parfois d’un mariage intime avec la nature – murs de fleurs ou de fruits  ou murs de neige comme dans le parc du château de Linderhof, en Bavière. Et la folie du roi Louis II devient plus apaisées, compréhensible…

 

Château de Linderhof sous la Neige © François Ribard
Château de Linderhof sous la Neige © François Ribard

 

Quand le mur se confond avec la nature, cela prend parfois des dimensions monumentales. Entre pierre et falaise, il n’y a parfois qu’une différence de degré. Mais quelle différence ! Ainsi lors de la traversée du massif dolomitique Puez-Odle durant le séjour ralliant Munich à Venise : « Je vois bien le mur mais… pas le chemin ! » entend-on susurrer dans les rangs. Et pourtant, il est là, astucieux, jouant avec les failles et les passages secrets qui entaillent la grande muraille.

 

Parc Puez Odle dans les Dolomites © François Ribard
Parc Puez Odle dans les Dolomites © François Ribard

 

Plus modestement les murs savent se mettre à plusieurs, se fondre entre des plantations, de légumes, de cannes-à-sucre ou de vignes, et, miraculeusement, créer du paysage. Il n’y a qu’à contempler les alignements de terrasses sur l’île de Madère ou les murets de la côte Vermeille qui retiennent la terre et orientent la circulation des eaux de pluie, pour goûter à ce charme des terrasses dont l’usage remonte à des siècles quand ce ne sont pas des millénaires.

 

Madère – Lévada des mimosas © François Ribard
Madère – Lévada des mimosas © François Ribard
Côte Vermeille © François Ribard
Côte Vermeille © François Ribard

 

Alors bien sûr, si généralement, on marche entre les murs on peut aussi les franchir voire progresser sur leur cime.

 

Cythère – Milopotamos © François Ribard
Cythère – Milopotamos © François Ribard

 

C’est la promesse rare offerte par les imposants forts de l’âge du bronze des îles d’Aran.

 

Dun Duchatair sur Inishmore en Irlande © François Ribard
Dun Duchatair sur Inishmore en Irlande © François Ribard

 

Et dans certains cas, le mur peut même devenir pont, tendre des liens plutôt que séparer. En maçonnant la Coupée, isthme étroit séparant Sark de Little Sark, des prisonniers allemands de la dernière guerre, n’ont pas fait que renforcer une langue de terre sapée par l’érosion.

 

Sark – La Coupée © François Ribard
Sark – La Coupée © François Ribard

 

Ils ont tendu un pont entre deux territoires voués à se séparer définitivement. Une leçon que ferait bien de méditer le furieux Président états-unien car les murs savent aussi nous rappeler les tragédies du passé comme les colonnes fantomatiques de Pompéi sur leur arrière-plan de Vésuve. Elles portent en elle le souvenir du drame survenu il y a deux-mille ans.

 

Pompéi © François Ribard
Pompéi © François Ribard

 

Ce récit vous a donné envie de vous lancer à votre tour à la découverte des murs des différents pays ? 

 

Crédit texte et photo © François Ribard, accompagnateur Grand Angle

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