De Munich à Venise… Traversée en Alpes Majeures

De Munich à Venise… Traversée en Alpes Majeures

Récits de voyages , Récits accompagnateurs

Dans quelques minutes, ciao Venezia ! Un caffè en attendant le vaporetto, du côté de la Ca’ d’Oro. Objectivement : en un peu moins de trente-six heures chrono, le trek urbain dans la cité des Doges, entre syndrome de Stendhal à répétition (du musée de l’Accademia aux lions de l’Arsenal, il y a de quoi s’évanouir mille fois) et quelques agacements classiques liés à la densité touristique, aura bien plus attaqué l’énergie de mes slaps que quatorze jours de vastes bonheurs alpins. Fatigue sous la chaleur lourde de l’Adriatique ? Légèrement à l’écart des forêts de perches à selfie et du flot déjà compact des visiteurs, saluer pourtant mentalement la splendeur absolue de cette île-république qui fut, le temps d’un quasi-millénaire, l’une des villesmondes les plus brillantes d’Occident. Comme porte de sortie d’une traversée des Alpes orientales, le shoot d’architecture et d’histoire qu’elle distille massivement n’est pas la pire des options en guise de mot « fin ». Et l’épaisseur et l’intensité d’un Munich-Venise, vu d’un sac enfin posé, ne sont pas loin d’un perfect trip alpin, lorsqu’au bout de la route, le monde ne demande qu’à continuer à s’ouvrir…

 

Randonneurs Munich Venise © Jean-Marc Porte
Randonneurs sur le trek Munich à Venise © Jean-Marc Porte

 

Bavière : en avant Luigi…

 

Château de Neuschwanstein © Jean-Marc Porte
Château de Neuschwanstein © Jean-Marc Porte

 

Premières balises d’un vaste pêle-mêle de massifs, de cols, de vallées, de refuges resserrés et de vastes horizons chevauchant allégrement trois territoires alpins majeurs, de la Bavière aux Dolomites en passant par le Tyrol ? Un saut de deux semaines en arrière. À trois cents kilo mètres à vol d’oiseau plein nord, montent vers Fussen les calcaires majeurs des massifs de l’Ammergau et de l’Allgau, séparés par la longue vallée déjà autrichienne de la Lech. Dans cette vaste balade d’un Munich-Venise, même l’émergence physique de l’arc alpin ressemble à un conte de fées ? Depuis la sortie de Munich, le paysage moutonne d’une Bavière de forêts et de champs de panneaux solaires, dont l’horizon sud finit par la vague verte des reliefs. Les Alpes ? Nous y sommes… presque ! Hasard du voyage : dans le train, nos voisins arrivent droit de Samarcande. Calottes du Fergana et sourires aux dents d’or : ils sont venus de très loin pour visiter – eux aussi – Neuschwanstein. Premiers pas donc, très modestes côté dénivelée et distance, vers l’histoire du « seul vrai roi de ce siècle », selon Verlaine : les sentiers qui remontent vers les tourelles et les balcons du plus couru des délires de Louis II de Bavière. Le château, que tous les enfants connaissent (Walt Disney et ses industries de l’entertainment s’en inspireront, d’un générique corporate aux différentes constructions de ses magic kingdoms) a été élevé sur le sommet du Bertzenkoppf, juste sous l’aplomb du Tegleberg, en une quinzaine d’années de travaux. Et simplement dit : vu de la passerelle du Marienbrucke, qui enjambe les gorges de la Pöllat, la carte postale est juste… parfaite.

À peine trois cents mètres au-dessus des lacs et des campagnes, encadré de falaises et de forêts sombres, le château flotte, adossé aux perspectives bleutées des reliefs plein ouest. Ludwig était peut-être fou. Mais il est difficile de lui reprocher (la suite du trek nous en dira encore plus) l’ombre d’une faute de goût dans ses obsessions. Il assumait, comme on dit de nos jours. Que ce soit sur le versant romantique et décomplexé de ses manies ou sur celui de son autisme illuminé, ses incroyables « rien que pour moi » architecturaux, dressés face au monde des hommes et aux obligations royales, demeurent de beaux objets de fascination… Fracassé en tant que souverain par l’histoire de l’unification allemande en marche, nourri sous des cascades d’influence aussi divergentes que les figures des mythologies du nord, la splendeur des Bourbons, l’orientalisme ou l’idéal des chevaliers médiévaux, Louis II va devenir l’un des compagnons de marche les plus appréciés de la partie allemande de notre traversée.

 

Ammergau Express

 

Pique-nique devant le Gabelschrofen © Jean-Marc Porte
Pique-nique devant le Gabelschrofen © Jean-Marc Porte

 

 

Côté sentier ? Tout est à la fois simple et beau sur les bordures nord de la chaîne de l’Ammergau. Notre échappée vers l’Autriche – bascule prévue dans quatre jours encore, même si nous en frôlons déjà littéralement la frontière – trace actuellement plein est sur le massif. Un petit coup de pluie, en remontant les vallées sous le Tedelberg. Le soleil qui nous rattrape à la vitesse d’un trailer, juste à la sortie des forêts. Le paysage s’installe confortablement dans des écrins de talwegs aux pâturages vert pétard, enroulant barres et falaises calcaires où naviguent quelques chamois blasés. Lapiaz de bonheurs. Sentes d’harmonie. Traversées de micro-forêts de pins mugo. Vue sereine sur les plaines de Bavière à main gauche. Sur le toit de l’Allemagne (un peu de patience…) à main droite. Qui a dit que les Préalpes n’étaient pas vraiment « les Alpes » ? Dans ces déferlantes de cartes postales, cadrées entre 1 500 et 2 300 mètres « seulement », je me souviens singulièrement d’un petit col tout simple, sous le Krähe et le Gabelschorfen. Du vol des premiers chocards et de l’ombre de la crête du Hochplatte. Du doigt de lumière, né de la fenêtre de roche qui marque la progression vers son arête sommitale. Et des chants des torrents avant de retrouver le havre tout de bois, de géraniums, de bières blanches et de goulasch du Kenzenhütte.

 

Fontaine du château de Linderhof © Jean-Marc Porte
Fontaine du château de Linderhof © Jean-Marc Porte

 

Le lendemain, cap sur la vallée de Linderhof. Un bout de col à sauter en guise de mise en jambe. La descente dans les forêts de sapins et de hêtres puissants. Puis la piste en fond de vallée qui déboule sur le château de Linderhof. Louis II, encore ? Encore. Second coup de folie sur le chemin : fan ou non de rococo, traverser les salles de ce micro-Trianon alpin est effectivement « nec pluribus impar », mieux que la plupart, comme le savait Louis XIV. Too much ? À une volée de marche du pavillon-château, la très artificielle grotte de Vénus (lac et barque-cygne, jeux d’éclairage et stalactites en stuc) accueillait Ludwig lorsqu’il se prenait pour Tannhäuser. Wagner – son idole et son protégé – n’est jamais très loin ? Même si l’on n’est pas à Bayreuth, il n’est pas déplacé d’écouter un fragment des Nibelungen, sac au dos, dans le quartier.

 

Intérieur de l’abbaye d’Ettal © Jean-Marc Porte
Intérieur de l’abbaye d’Ettal © Jean-Marc Porte

 

Ou une sonata da chiesa ? À une heure de marche de Linderhof, l’approche beaucoup plus silencieuse d’Ettal remet quelques pendules à l’heure. Loin du faste et des délires d’isolement narcissico-romantiques de Ludwig, la silhouette massive du dôme de la grande abbaye, cernée de son couvent, domine immensément le village. Du sérieux, Ettal ? Sept cents ans d’existence sous règle bénédictine. Un haut lieu de pèlerinage médiéval. Des liens puissants avec l’abbaye de Melk (souvenez-vous du Nom de la rose). Le plafond baroque de son église, en regard de la sévérité sombre des forêts environnantes et en contrepoint aux fantaisies de Louis II, recolle tout marcheur normalement constitué dans un degré de spiritualité proche de l’épure… Mais le fantasque Ludwig n’a pas encore dit son dernier mot. Le jour suivant : un bus local nous a propulsés à Garmisch-Partenkirchen. Il n’y a pas de hasard ? Partanum, il y a deux mille ans, était une toute jeune ville-étape de la Via Claudia Augusta, la première « route » carrossable transalpine qui reliait la Vénétie au Danube. Un coup d’œil au tremplin de saut, à deux doigts de la mémoire des Jeux olympiques d’hiver de 1936, et nous nous enfonçons droit dans le canyon de la Partnach. Les gorges étroites, que l’on suit entre passerelles ruisselantes et micro-tunnels sombres, sont un sésame déroutant à notre approche du massif du Wetterstein. Ce gros morceau de calcaire, qui signifie littéralement « le rocher de la météo », abrite entre autres élévations les 2 962 mètres du point culminant de l’Allemagne, le Zugspitze. L’objectif du jour : les quelque 1 200 mètres de dénivelée menant à l’un des plus beaux belvédères des lieux. Et pas de surprise : il s’agit sans hasard d’un pavillon de solitude de Louis II, construit entre 1869 et 1872 : la maison royale de Schachen. Modeste chalet ? Pavillon de chasse d’un roi qui détestait la chasse ? Après les salles austères (chambre et bureaux modestes) du premier niveau, la semi-reptation dans l’escalier en colimaçon étroit qui rejoint l’étage ouvre sur un délirant salon mauresque. Télétransportation ? Diwans et fontaines. Tapis et plumes de paons. Vases et vitraux. Un dernier coup de folie sur le sentier, sentant l’Orient alangui, les chaikhanas d’Asie, les palais d’Istanbul, les voluptés du narguilé au calme des alpages allemands ? Sacré Ludwig !

 

La solitude des frontières

 

Cascade de Krimml © Jean-Marc Porte
Cascade de Krimml © Jean-Marc Porte

 

Quatre jours plus tard. 2 634 mètres. Lumières grises, douces et amorties, au passage du col de Krimml (Krimmlertauern). La neige tombée juste pour cette nuit de tempête commence déjà à s’effacer sur les crêtes, deux ou trois cents mètres au-dessus de nous. Dans la ouate, les sommets du Grosser Geiger, du Gammsspitzl et du Venediger (3 667 m), qui devaient nous accueillir après l’effort sont momentanément hors-service. Un pied en Autriche ? Nous déboulons de la très sauvage vallée de Krimml. Un pied vers l’Italie ? La rampe et l’escalier de pierre tombent droit en quelques mètres sur la vallée d’Arina, ou encore, selon vos préférences culturelles, l’Ahrntal. Douaniers et passeports ? Pas plus qu’à notre passage, soixante-douze heures auparavant, au refuge Meilerhütte, posé à 2 374 mètres sur une faiblesse du Wetterstein, entre Allemagne et Tyrol autrichien. Sur la longue descente vers la plane vallée de Leutash (un gros 1 200 mètres de pierriers et de passages raides avant de se rouler sur l’horizontalité parfaite des pâturages), les chamois de la Bergleintal nous ont accompagnés à bonne distance. Premier grand point de bascule du trek ? Le passage marque d’un coup la disparition de la partie nord de notre itinéraire. Le sud, ouvert loin au regard, est une toute nouvelle promesse : les massifs des Karwendel, du Stubaï et de l’Otztal barrent nos nouvelles cartes. Une nuit à Leutash, au confort des fonds de vallées autrichiens. Puis cap sur Innsbruck. Le dernier point haut avant d’atteindre la ville et la puissance vallée de l’Inn ? Un saut aux marges orientales du Parc naturel des Karwendel, via un petit col (et son gros pierrier), sous l’Erlspitze. Moins que la raideur du passage, la densité record d’un gros kaiserschmarren (crêpe « allégée » de blancs en neige…), englouti vers onze heures au soleil d’une ferme-auberge dans le sublime val de Giessenbach, reste un vrai bon souvenir de montagne. À dix-huit heures, après la prise de possession de nos dortoirs au refuge Solstein et quelques passages câblés, le sommet du Gross Solstein (2 541 m) nous distille, loin au-dessus des alpages, un air de grande symphonie alpine, droit sur les lames de calcaire des Karwendel… Même heure, le lendemain soir. Pluie et moral en berne. Après une descente calme vers Innsbruck, après quelques heures de flânerie à la découverte d’une vraie capitale des Alpes (même Maximilien Ier la préférait de loin à Vienne…), une heure de bus nous a propulsés sur les plateaux d’altitude du Zillertal. Deuxième acte de notre Munich-Venise ? La traversée du cœur de la chaîne alpine, à vue des glaces du Grossvenediger (3 798 m), l’un des seigneurs de la chaîne des Hohe Tauern… Souvenir de pare-brise noyé de gris, sur la liaison par bus qui doit nous « droper » à pied d’œuvre. Les assemblages baroques des gasthaus et des penzions de la station de ski de Gerlos, aux limites d’un Disneyland alpin (balcons croulants littéralement sous les jardinières, façades d’edelweiss et de chamois peints, sans oublier les serpents colorés de toboggans géants). Mais encore la perfection absolue des granges sombres, toutes de cembro massif, accrochées aux pentes (raides) d’alpages rasés d’aussi près qu’un green de golf… Seul bonus de cette météo calamiteuse, mis à part l’augmentation de la consommation moyenne de bière ? Émergeant sous la couche nuageuse, les cascades de Krimml (400 à 500 mètres étagés en trois ressauts vaporeux, les plus hautes chutes d’Europe, aime-t-on à dire ici) sont en grande forme. La pluie est parfois une amie du randonneur. Au matin suivant, l’énergie mêlée du son des chutes, des embruns violents et des crachins du jour, de belvédères en belvédères, était une sorte de marche-thalasso plutôt douce à déguster. Mieux encore. Passé le verrou des cascades, l’atmosphère de la vallée de KrimmIer Achental s’est mise à nous envelopper d’une étrangeté réelle. Ici, pas de route. Une piste plane, sur fond de val lée en auge. Des fermes qui sont là depuis bien plus longtemps qu’un siècle. Le flot de la rivière. Solitude ? Sur plus de dix kilomètres, la vallée ressemble à un monde perdu. Dans le vaste puzzle du plus grand Parc national autrichien des Hohe Tauern (qui abritent soixante sommets de plus de 3 000 mètres), la solitude des lieux, à deux pas des glaciers du vénérable Grossvenediger est connue. Dans l’énorme ferme-auberge de Krimmltauernhaus, entre les photos jaunies de montée en alpage et des familles en chapeau et robe 1900, une longue frise détaille la généalogie de l’actuelle famille de propriétaires (les Geisler) depuis 1906. Une paille au regard de l’âge de la cuisine et des chambres qui constituent la partie la plus ancienne du corps de bâtiment : le cœur des lieux a plus de six cents ans. Les paysans, à l’époque déjà, n’étaient surtout pas là que pour l’estive. Été comme hiver, ils assuraient également la taberna. Une obligation de quasi-service public, gratuite, offrant une sorte de caravansérail pour les bêtes et poste de secours (vêtements chauds et cordes à disposition…) pour les hommes engagés vers les cols. Le sentier muletier, que nous suivrons vers le Krimmlertauern est, sur certaines sections, une merveille locale de marches dallées. Ici passaient le sel et les bêtes, les troupes et les rois, mais aussi les mineurs et les réfugiés : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre cinq mille et huit mille juifs d’Europe transiteront par grappes vers Gênes et la Palestine sur ces marches aux rythmes quasi… népalais

 

Les dolomites, en Kinopanorama

 

Le calme des Préalpes sereines à l’ombre de Ludwig, du côté de l’Ammergau. Le toit de l’Allemagne à vue et la puissance du massif du Wetterstein, traversé de part en part entre Garmish et la vallée de Leutash. Un gros bonus de sauvagerie made in Tyrol, entre le Karwendel et de la vallée de l’Inn. Un salut nuageux au Venediger et à ses satellites, en plein dans la partie orientale des Hohe Tauern. Puis l’Italie. Nous sommes au jour dix de notre trace. Il ne manque plus pour compléter la transversale que la dernière partie du programme : les Dolomites. Les « Dol’s », comme disent les habitués, restent vraiment un coin singulier entre mille de l’arc alpin. Avant d’adopter le nom du géologue, nous allons traverser une partie d’un puzzle de quinze mille kilomètres carrés, tout de forteresses claires, et largement béni désormais par l’Unesco (neuf massifs classés au patrimoine mondial). Gros morceau(x) de bonheur en perspective ? Mais patience. La journée a commencé par un échange purement culturel, dans le minibus qui assure notre transfert virevoltant vers le Passo delle Erbe. Notre chauffeur fait partie des quelque trente mille personnes parlant encore ici le ladin. Entre empire austro-hongrois et traité de Versailles, l’histoire s’est chargée de réduire à une minuscule poche de résistance ce qui fut l’un des grands dialectes des Alpes. Ce reliquat de langue romane, proche du frioulan ou du romanche, continue à être parlé et officiellement enseigné, après l’italien et l’allemand, dans une série de vallées des provinces de Trento et de Bolzano. Un salut à l’une des langues les plus « rares » d’Europe ? Ici, nous sommes dans le Trentino Alto Adige, en version italienne. Mais encore dans le Südtirol, si l’on parle allemand. Et sur les panneaux qui défilent, les noms sont portés… en trois langues : Brunico-Bruneck-Bornech… Sept heures de marche et de beauté plus tard, nous avons avalé le sentier qui entaille droit le massif du jour : le groupe des Dolomites de Puez.

 

Parc Naturel Puez Odle © Jean-Marc Porte
Parc Naturel Puez Odle © Jean-Marc Porte

 

L’approche nord, par le Passo delle Erbe, débute dans un immense alpage, avant un solide coup de raideur juste sous la Putia. Poser les sacs au refuge Genova. Et repartir pour le bonus du jour : plutôt que les 2 875 mètres de la Putia, nous fonçons pour une envolée isolée sur une section du sentier Günter Messner. Hommage au frère du plus grand alpiniste du monde, disparu sur les flancs du Nanga Parbat en 1970 ? Tout comme Louis II en Bavière, la présence de Reinhold Messner, ici, est immanquable. À vue, nous percevons plein nord le site de l’un des six musées (Messner Mountain Museum) qui portent son nom dans le Haut-Adige, posé sur le sommet du Kronplatz, au sud de Bruneck. Câble et échelle. Lumière parfaite. Sur les crêtes, l’espace s’ouvre immensément. Plein sud ? La suite à venir. Les murailles sauvages du Geisler, de la Forchetta. Mais c’est de l’ouest que le sublime du jour nous épingle. L’un de plus vastes alpages des Alpes collés sous le ciel. L’alpe de Siusi, à 1 800 mètres d’altitude moyenne, précède de son calme la puissance étalée de l’arc alpin, étiré à quatre-vingts kilomètres à vol d’oiseau face à nous, balisé in fine par les glaciers de l’Ortles et de l’Adamello. Le bal ne fait que commencer ! Le lendemain, après les solides pierriers du Forcella della Roa, à ras du Piz du Leda, un bout de via ferrata facile nous propulse vers le refuge Puez. Grosse journée. Balcons suspendus au-dessus des falaises du puissant vallon de Vallunga qui tombe sur Val Gardena. Une halte au refuge, puis les passages des Forcella Ciampei, Forcella de Crespeïna et du col de Cir : 1 100 mètres de dénivelée positive, autant de négative, sans oublier pas mal de bornes horizontales au compteur. D’un coup d’un seul, suspendues au-dessus du passo Gardena où nous allons tomber pour la nuit, les murailles des Dolomites de Sella se mettent à rougeoyer, en forteresses inaccessibles dans la lumière de fin de jour. Il faut se méfier des murailles ? Pierrier et câbles : le lendemain, nous sommes presque les premiers pour un café mérité au refuge Pisciadu. Et tôt, nous rejoignons l’immense désert blanc qui abrite le refuge Boé. Walking on the Moon, à 2 800 mètres d’altitude. D’un même regard, tenir à distance les mondes aussi opposés que les tours de Mesdi plongeant à la verticale dans la trouée des canyons que la blancheur irradiante de ce désert des Tartares caché des Sella… Fragments de cette journée mémorable ? Quelques mots échangés sur la brutalité de la Patagonie, avec Lodovico Vaia, le patriarche et guide de haute montagne du refuge Boé. Une virée en aller-retour à la cabane Fassa, posée sur le Piz Boè, le point haut de ces quinze jours de bambée, pour le bonheur explosif et intime d’un dernier face à face majeur avec les Dolomites. Les glaciers de la Marmolada. Les fuyantes verticales du Grand Vernel. La Cima del Lago. Les Tofane. Les Cinque Torri. Le bloc du Pelmo. La vague de la Civetta. Les pointes des Pale di San Martino. Tenter d’embrasser toute cette beauté au goût pourtant presque amer : demain, fin du voyage. Redescente sans trop de paliers de décompression, vers le pied des glaciers de la Marmolada, quelque part vers le lac Fedaia. Belluno et Venise ne seront qu’à quelques heures de route et de train, plein sud. En attendant demain, donc, jouir d’aujourd’hui. Des mémoires mêlées de cette bambée et de ses conséquences déjà paradoxales. Très loin sur l’horizon, le Grossvenediger que nous avons massivement frôlé il y a si peu n’est déjà presque plus qu’un point incertain parmi des dizaines et des dizaines de sommets. Il y a tant d’Alpes à traverser…

 

Trek Munich à Venise © Jean-Marc Porte
Trek Munich à Venise © Jean-Marc Porte

 

Ce récit vous a donné envie de vous lancer à votre tour dans la Grande Traversée de Munich à Venise ? Retrouvez la ici !

Crédit texte et photo © Jean-Marc Porte, journaliste Trekmag

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