Pour qui a le goût du voyage ancré dans sa vie, la découverte d’une île revêt toujours une forme de quête initiatrice. Et quand ce goût de l’île se double d’un projet professionnel, la quête devient alors une pure gourmandise.
Cythère – Κύθηρα en Grec, Kythira pour les anglophones – j’en connaissais le nom. Lieu de naissance mythique d’Aphrodite, née de l’écume de la mer ensemencée par la mutilation sexuelle d’Ouranos (le Ciel) par son Titan de fils, Cronos (le Temps), l’île revêtait au XVIIIe siècle un habit plutôt léger… Le peintre Watteau l’a illustré dans son tableau le plus célèbre, Pèlerinage à l’île de Cythère, dont il reprendra le thème en 1718 dans celui intitulé Embarquement pour Cythère. À l’époque, s’embarquer pour Cythère indiquait qu’on s’embarquait… pour les délices de l’amour !
Mais il y a un pas entre la mythologie grecque et la réalité d’un accompagnateur en montagne ! Plus prosaïquement, en allant reconnaître cette île, entre Péloponnèse et Crète, allais-je découvrir un terrain propice à de belles randonnées pédestres ?
Après un détour à Corfou puis une semaine dans les îles d’Andros et Tinos où j’ai encadré de superbes balades sous le ciel des Cyclades, je débarque en Attique, tout à la fois enthousiaste à l’idée de découvrir une île nouvelle et anxieux devant le repérage qui s’annonce. Et si l’île d’Aphrodite n’avait rien d’intéressant à m’offrir ?
À l’aéroport d’Athènes, je retrouve Jean-Claude Praire et nous voilà partis pour un vol de quarante minutes : direction Cythère et son nimbe de mystère. L’avion se pose sur un vaste plateau, au milieu de nulle part, sur la piste unique d’un aéroport propret qui porte le nom de son mécène, Alexandros Aristotelous Onassis.
Il nous faut rapidement prendre le pouls de l’île et, pour cela, un véhicule s’impose. C’est parti pour une semaine de repérage de sites, d’hébergements et de randonnées, sur cette île qui va rapidement s’imposer à nos yeux comme une valeur sûre de la découverte pédestre.
Ce voyage, nous l’avons préparé, bien sûr, mais Cythère a bien des surprises à nous offrir. En une semaine je peux dire qu’il n’y a guère de coins et recoins qui nous ont échappé. Cerise sur le gâteau, nous rencontrons plusieurs personnes-ressources qui nous exposent par le menu les réalisations achevées et les projets de développement de la randonnée, en nous confirmant la valeur de notre choix de randonnées. De fait, de nombreux chemins sont en état ou en cours de rénovation à Cythère. Cette politique va de pair avec une volonté générale – publique et privée – de promouvoir un tourisme raisonnable et respectueux des sites, à la mesure de cette île moyenne, longue de 32 kilomètres pour 280 km2 mais abritant une population d’à peine plus de 3500 habitants. Ici, point d’hôtels colossaux ou de résidences « « les pieds dans l’eau » qui défigurent tant de côtes insulaires et littorales en Méditerranée. Certes, l’impossibilité d’accueillir des avions gros porteurs sur l’aéroport de l’île ajoute sans doute à la volonté de rester dans des limites d’un tourisme « soutenable » !
Résultat : les côtes sont superbes et préservées et les randonnées sont légion… et belles. Il nous faudra même élaguer notre programme initial tant les opportunités sont séduisantes.
Cythère, c’est d’abord un plateau doté de sommets culminant à 506 mètres d’altitude mais un plateau entaillé, dont les richesses paysagères étonnent : opulentes pinèdes veillées en permanence par une escouade de soldats du feu (il n’a pas plu depuis un an sur Cythère) et, surtout, gorges spectaculaires et boisées où courent ruisseaux et torrents. Celles de Mylopotamos égrènent les cascades et d’anciens moulins à eau à l’abri d’imposants platanes d’Orient, au pied de l’ancienne forteresse vénitienne de Kato Chora et face à de beaux escarpements rocheux où résonne le cri des faucons. Et que dire de la vue sur les gorges impressionnantes de Kakia Lagada sur fond de grande bleue, que l’on découvre des ruines de la citadelle byzantine de Paleochora ? C’est un coup de cœur qui ne me quittera pas.
A côté de ces paysages grandioses voire escarpés, Cythère affiche une succession de côtes montueuses offrant des vues spectaculaire sur le Péloponnèse, distant seulement d’une vingtaine de kilomètres. Mais l’île sait aussi offrir le relief apaisé de ses plages de sable et des localités de bord de mer qui lorgnent vers les Cyclades comme du côté d’Avlemonas, le village préféré de Jean-Claude. Adieu les forêts ! On est plutôt dans une Grèce de l’imaginaire : ciel bleu et maisons blanches au bord d’une crique où se déploie une mer émeraude. C’est près d’Avlemonas, qu’ont été fouillés les vestiges de la plus ancienne cité de l’île, remontant à la période minoenne (-2700 à -1200 avant JC, à l’apogée de la civilisation crétoise), et même au-delà.
Ici, histoire et géographie restent marquées par la proximité crétoise : histoire des hommes et de leurs civilisations, on l’a vu, même si peu de sites archéologiques sont clairement lisibles pour les profanes que nous sommes. Mais la géographie physique est aussi à l’honneur : séquence émotion, à l’aube dans le village d’Avlemonas, lorsque sur fond d’atmosphère violette, les montagnes crétoises se dessinent à quatre-vingt kilomètres au sud – au-delà de l’île d’Anticythère – avant de disparaître du regard avec l’arrivée du « char solaire ».
Cythère, ce sont aussi des villages colorés et plein de vie comme Potamos, où nous avons goûté à plusieurs reprises au bonheur d’un café en terrasse, dans l’animation des conversations alentour. C’est la beauté un peu figée de la capitale de l’île – Chora – magnifiquement posée sur une épaule rocheuse dominée par un ancien kastro vénitien, à l’aplomb de criques rocheuses et de la merveilleuse baie de Kapsali, où quelques rares touristes encore présents en ce début octobre, profitent d’une mer à 24 degrés.
Kapsali, Agia Pelagia… Des localités en bord de mer où nous avons fait étape et où nous avons eu tout le temps de bichonner nos randonnées à l’ombre de tavernes et de cafés devant un expresso fredo ou un ouzo bien frais accompagnés de quelques mezzés.
Cythère, c’est enfin une Grèce orthodoxe contemporaine que l’on connait bien avec son cortège habituel de chapelles blanches balisant la campagne ou magnifiquement enchâssées dans des grottes retirées. Au monastère d’Aghia Moni, juché sur un sommet perdu et fréquenté par des chèvres à demi-sauvages, une dame déjà âgée, gardienne solitaire de ce lieu désert entre deux célébrations, nous a ouvert la porte de l’église et offert un café délavé qui valait bien tous les cafés frappés des bistrots côtiers, va !
En descendant de cet imposant édifice, alors que nous roulions en direction de l’aéroport pour clore nos huit jours de repérage, je ne pouvais m’empêcher de constater que le christianisme, omnipotent depuis deux-mille ans à Cythère comme dans l’ensemble de la Grèce, malgré l’occupation ottomane, n’a pourtant pas réussi à faire oublier la belle Aphrodite et ses charmes voluptueux dans l’imaginaire même de l’île…
Conquis, je suis rentré à Athènes puis en France, avec des images plein les yeux et une seule idée en tête : débarquer à nouveau sur Cythère !
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Écrit le 09/01/2019 par :
François Ribard